Analyse de l’étude de l’INSERM sur TousAntiCovid

Francois Lesueur
4 min readNov 4, 2020

On a récemment vu fleurir, dans la presse ou dans la communication du gouvernement (par exemple ici), une étude d’impact de StopCovid par l’INSERM. Cette étude est disponible ici. J’utilise ici indifféremment StopCovid/TousAntiCovid qui sont juste des versions différentes d’une même application (et l’étude traite de StopCovid).

On peut notamment y lire dans le résumé la phrase qui a été largement reprise par la presse et la com : “Avec une adoption de l’appli par 30% de la population, chaque personne se déclarant comme un cas de COVID-19 dans cette application permettrait à 37% de ses contacts de ne pas retransmettre le virus, démontrant tout l’intérêt d’une large adoption et utilisation.

Alors, info ou intox ? Je propose ici une analyse de cette étude et je penche plutôt du côté intox…

Préambule

Je ne suis pas épidémiologiste, je peux donc évidemment rater des conventions et habitudes dans ce domaine. Cependant, je suis un scientifique et j’ai fait l’effort de lire et comprendre au mieux cette étude. J’analyse ici les hypothèses, la démarche scientifique et les conclusions qui peuvent en être tirées. Je suis ouvert à toute remarque/correction/précision.

Qu’essaie de montrer cette étude ?

Il est assez trompeur d’extraire de cette étude que si 30% de la population utilisait TousAntiCovid, alors 37% de leurs contacts ne retransmettraient pas le virus. En effet, modulo la formule de calcul sur laquelle nous reviendrons dans la suite, ce résultat est exprimé sous l’hypothèse que le taux de positivité parmi les contacts notifiés par StopCovid est le même que le taux de positivité global des tests dans la population (i, dans l’étude). Je pense que cela n’a aucun sens. En effet, les personnes testées sont une combinaison, en proportion inconnue, de personnes :

  • non symptomatiques non contacts, ie, du test aléatoire
  • symptomatiques, ie, du test probablement plus positif que le test aléatoire
  • contacts tracés humainement, probablement aussi plus positif que le test aléatoire
  • StopCovid envoie actuellement moins de 1000 notifications par jour, pour un ordre de grandeur de 250 000 tests par jour (50 000 cas/jour, 20% de positivité), la proportion de ces notifications est donc négligeable sur le taux de positivité des tests

La véritable inconnue, aujourd’hui, c’est bien la pertinence des notifications de StopCovid. Autrement dit, les cas contacts identifiés par StopCovid sont ils plus positifs que du test aléatoire ? C’est une vraie question, la mesure de distance en BLE est complexe, StopCovid n’a aucun contexte (port de masque, quel type de masque, espace clos ou extérieur, etc.) qui sont les éléments clés sur lesquels s’appuient les traceurs humains. C’est donc bien ce taux de positivité parmi les notifications StopCovid qu’il faut évaluer pour avoir la pertinence de StopCovid. Ici, l’étude se concentre sur un tout autre point, sans vraiment de rapport, en utilisant une variable de pertinence, i, non liée à StopCovid… Ainsi, une façon de lire cette étude serait plutôt :

Si on fait l’hypothèse que StopCovid fonctionne, alors StopCovid permet de réduire la propagation

Ce qui est beaucoup moins péremptoire que d’en déduire que StopCovid fonctionne de base… La question, toujours non traitée, est de savoir si StopCovid produit des notifications pertinentes, ie, menant à des tests plutôt positifs. Cette étude n’aborde pas ce point.

L’incroyable formule

Ce calcul (formule 2), basé sur un paramètre assez étonnant, produit lui-même des résultats étonnants (tableau 1). Ainsi, cette formule linéaire dit que :

  • à 4% d’adoption, on réduit la transmission de 5%
  • à 30% d’adoption, on réduit la transmission de 37%
  • par extension (calculée par mes soins), à 90% d’adoption, on réduit la transmission de 112,5%

Alors en général, dans mon cas, quand un calcul m’annonce une réduction de plus de 100% (ou une probabilité supérieure à 1), je me méfie et je me dis qu’il faut retravailler la formule. Il manque probablement un paramètre, un effet de seuil quelque part. Il est clair que, sans même vérifier la logique de l’idée du calcul, il manque un élément. Si le résultat est mathématiquement invalide à 90%, à partir de quel pourcentage est-il déjà faux ? 80% ? Ou déjà 20% ? J’ai bien posé la question, mais je n’ai pas eu de réponse… Et je ne crois pas que même les plus optimistes aient réellement pensé que l’adoption de l’application à 100% permettrait de résoudre tout problème et remplacerait totalement le traçage humain…

Mais au fait, 37% par rapport à quoi ?

L’étude ne dit pas non plus clairement à quoi elle se compare. Ainsi, avec 30% d’adoption, elle annonce prévenir 37% des recontaminations, mais par rapport à quoi :

  • personne ne prévient jamais personne, aucun suivi de contacts même entre amis/collègues ?
  • notifications personnelles hors stopcovid (ie, je préviens au mieux les contacts dont je me souviens, moi-même) ?
  • traçage humain par les ARS ?
  • autre ?

J’ai aussi posé la question, sans réponse. J’ai l’impression que la comparaison se fait vis-à-vis de l’absence totale de traçage, ni par les ARS, ni entre amis, ce qui serait quand même très étrange (et très favorable à obtenir de “gros chiffres”).

D’autres détails

De nombreux autres détails m’ont choqué à la lecture. Par exemple, les auteurs utilisent une étude de 2015 pour estimer le nombre de contacts quotidiens de plus de 15 minutes à moins d’1 mètre (ce que doit détecter StopCovid). Cette étude de 2015 annonce 8 contacts de ce type et les auteurs de l’étude StopCovid explorent ensuite de 10 à 50 contacts. Au contraire, il me paraît naturel que les restrictions actuelles diminuent ces contacts, plutôt que de les augmenter de 8 à 50.

Je suis donc très circonspect sur cette étude, et encore plus sur les conclusions qu’on en retire. Ce n’est qu’un avis évidemment, mais elle me semble juste montrer que si StopCovid fonctionne, alors StopCovid fonctionne. Le cœur du problème est d’étudier la pertinence des notifications StopCovid, ce qui n’est pas encore fait.

Ce n’est donc pas encore, pour moi, l’étude qui montrerait un quelconque bénéfice sanitaire à l’utilisation de StopCovid. À l’heure où StopCovid est parfois présenté comme un geste barrière, comme un outil pour reprendre “la vie normale”, cette absence d’étude du bénéfice commence à être dangereuse…

Ajout du 2/12/2020. Malgré demande et relance, je n’ai pas eu de retour de la part des auteur·es de cette étude.

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